Dans le sud de la Géorgie, pas très loin de la frontière avec la Turquie, après le monastère troglodyte de Vardzia, je déboule dans le petit Caucase. C’est une région reculée où je n’aurais jamais été si je n’avais suivi la trace Caucasus Crossing sur Bikepacking.com, mais qui vaut vraiment le détour.
La route depuis Vardzia monte finalement assez doucement, mais sur du caillou. Chaque virage est l’occasion d’une nouvelle traversée avec une vue imprenable sur le couvent et la vallée du Mtkvari juste en face. Mais à quelques encablures du sommet, la route est barrée, effondrée. Un éboulement de terrain a récemment bloqué tout passage. Je m’engage à pied, tenant mon vélo à bout de bras sur un petit passage du côté de la pente, manifestement déjà pratiqué par des cyclistes qui me précédaient — je comprendrai plus tard qu’il s’agissait notamment de Pablo avec qui j’avais roulé jusqu’à Budapest.
Là-haut, un petit village isolé et son église bordent de gigantesques prairies où je vois s’élever au loin quelques sommets. Je m’engage en suivant des pistes à peine balisées à travers les prés et les bois, dans des espaces où je peux crier sans que personne ne m’entende. Je fonce sans avoir peur de tomber sur ce matelas herbeux. Parfois, je passe par de petits villages où je provoque l’étonnement avec mon vélo grinçant qui cherche la meilleure voie sur la piste accidentée qui sert d’artère principale.
Vers Akhalkalaki, je retrouve un doux et lisse asphalte qui me donne du répit pour quelque temps et où je fais quelques courses avant de m’aventurer sur la section de ma carte où plus aucune route, pas même une piste, ne sont représentées. Cheminant gaiement vers cette destination mystérieuse, un taxi m’arrête et me met en garde : si je continue dans cette direction, fini le bel asphalte ! Mais « no asphalte, no problem! » lui dis-je, me souvenant d’un mot que mon grand-père m’avait adressé : « ne demande jamais ton chemin à quelqu’un qui le connaît : il pourrait t’empêcher de te perdre ». Je continue donc ma route sur un chemin de plus en plus chaotique, jusqu’à arriver à Andali, au pied du mont du même nom, dernier village avant la haute montagne inhabitée.
Devant moi un ciel tourmenté dans lequel se découpent des pâturages fraîchement arrosés par la pluie, derrière moi le soleil qui commence à se coucher devant lequel quelques fins nuages s’étirent au-dessus des prés au milieu desquels je viens de pédaler. J’évite de peu l’orage mais essuie tout de même quelques gouttes lors de mon ascension. Il n’y a presque plus de piste et avec la pluie mon vélo glisse sur chaque caillou à tel point que je dois mettre pied à terre pour finir l’ascension, non sans regret.
Arrivé là-haut, quel plaisir ! Je dévale la montagne dans l’herbe fraîche sans vraiment faire attention au tracé du chemin. Au loin, quelques troupeaux et leurs bergers à cheval ou appuyés sur leur long bâton et puis quelques tentes plantées à flanc de montagne desquelles s’échappe la fumée du poêle qui chauffe le refuge. Le soleil commence à se coucher et teinte ce spectacle d’une magnifique couleur orangée alors que les nuages de l’orage se dissipent doucement. Là, je plante ma tente pour une nuit fraîche et calme qui trouvera son terme avec le tintement des cloches des vaches le lendemain.
Au matin, je dévale la pente jusqu’au lac de Poka, baigné par la lumière de l’aube et rejoint la route asphaltée, non sans nostalgie. En me retournant, j’adresse un dernier au revoir à ces montagnes herbeuses où sont encore accrochés quelques nuages, puis m’élance pour les cents derniers kilomètres qui me séparent de Tbilissi. En redescendant je sens la grande ville se faire de plus en plus proche jusqu’à ce que j’arrive en surplomb de Tbilissi que je vois s’étaler à mes pieds, si vaste, tellement plus vaste que les villes par lesquelles je suis passé jusqu’à maintenant. Depuis Athènes, c’est la première vraie grande ville où j’allais m’arrêter.
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